co-01Le 21/11/2016. A l’occasion de la Journée Mondiale de la Télévision, le 21 novembre, l’IEB présente dans une série de trois articles plusieurs résultats intéressants de la recherche sur la relation entre consommation de télévision et bonheur. Troisième partie : l’effet sur les valeurs et les aspirations du temps passé devant la télévision. 

 

Au-delà des points de référence, la télévision change également les aspirations et les comportements économiques. Par l’entremise de la publicité notamment, la télévision alimente des valeurs matérialistes chez ceux qui la regardent, dans les pays développés comme dans les pays émergents[ii]. Les gros consommateurs de télé placent la réussite matérielle plus haut dans la liste de leurs aspirations et focalisent davantage sur des activités qui produisent des revenus plutôt que sur des activités sociales. Ils ont également tendance à dépenser davantage (et donc à épargner moins)[iii].

Un tel effet était visible en Allemagne lorsque le pays était encore scindé en deux. Dans certaines régions de l’Est proches de la frontière, les ménages réussissaient à capter la télévision ouest-allemande. Influencés par ce qu’ils voyaient et que les autres ne voyaient pas, ces ménages avaient développé des aspirations matérielles bien supérieures[iv].

Un effet inattendu de la télévision… sur la perception du physique des femmes

D’autres formes de comparaison sociale sont intermédiées par la télévision, par exemple le physique des femmes. De nombreuses études ont montré l’effet nocif de l’exposition à des images de femmes sexy sur la perception qu’ont les femmes de leur propre corps ainsi que sur leur humeur et leur confiance en elles[v]. Un effet similaire a également été retrouvé chez des hommes. Exposés à des images de femmes attirantes, ils ont ensuite tendance à évaluer moins positivement l’aspect physique de femmes « normales » et à être moins satisfaits du physique… de leurs compagnes[vi].

La télé n’est pas un loisir anodin. Le temps que l’on passe devant l’écran (jusqu’à dix ans de notre vie au total !) a le pouvoir de nous transformer en profondeur.

Comparaisons 2.0

Les mêmes phénomènes commencent à être repérés chez les utilisateurs d’Internet et des réseaux sociaux. L’équipement encore inégal des ménages en technologies de l’information permet de réaliser des expériences qui seront peut-être impossibles dans quelque temps. Voici un exemple sur des données de la deuxième moitié des années 2000. Des chercheurs ont observé que les ménages européens ayant un ordinateur à domicile ont tendance à avoir des estimations du salaire minimum nécessaire « pour joindre les deux bouts » de 3 à 5 % supérieures à celles des ménages comparables mais sans ordinateur à domicile. De même, les personnes qui utilisent souvent Internet comme source d’informations ont tendance à être moins satisfaites de leurs revenus. La cause : des aspirations plus élevées.

De même, Facebook et les réseaux sociaux sont un formidable outil de comparaison sociale. Qu’on le veuille ou non, avoir accès aux profils et aux publications de nos amis et relations nous incite à nous comparer à eux. Même si nous savons que les publications sur ces réseaux sont biaisées par la tendance de tout un chacun à y présenter sa vie sous son meilleur angle, ce que nous y voyons n’en affecte pas moins nos perceptions. Plus nous passons de temps sur Facebook par semaine, plus nous avons tendance à croire que nos amis Facebook sont plus heureux que nous et ont une vie meilleure que la nôtre. C’est d’autant plus vrai pour ceux qui parmi leurs amis Facebook ont une grande proportion de personnes qu’ils ne côtoient pas dans la vie réelle[vii].

Enfin, regarder sur les réseaux sociaux les profils de gens beaux diminue la satisfaction que l’on a de son propre corps. Cela tend également à alimenter une image corporelle globalement négative. Et pour les hommes, observer le succès professionnel des autres hommes sur ces mêmes réseaux sociaux abaisse la satisfaction ressentie face à sa carrière[viii].

À défaut de réaliser leurs failles, leurs échecs et leurs états d’âme lors de rencontres réelles, nos amis virtuels ont les mêmes effets sur nos perceptions que des personnages de fiction.

[i] Yang H., Ramasubramanian S. et Oliver M. (2008), « Cultivation effects on quality of life indicators: Exploring the effects of American television consumption on feelings of relative deprivation in South Korea and India », Journal of Broadcasting and Electronic Media, 52 (2), 247-267.

[ii] Sirgy M. et al. (1998), « Does television viewership play a role in the perception of quality of life? », Journal of Advertising, 27 (1), 125-142.

[iii] Schor J. (1999), « The new politics of consumption: Why Americans want so much more than they need », Boston Review.

[iv] Hyll W. et Schneider L. (2013), « The causal effect of watching TV on material aspirations: Evidence from the Valley of the Innocent », Journal of Economic Behavior and Organization, 86, 37-51.

[v] Lin L. et Kulik J. (2002), « Social comparison and women’s body satisfaction », Basic and Applied Social Psychology, 24 (2), 115-123 ; Wedell D., Santoyo E. et Pettibone J. (2005), « The thick and thin of it: Contextual effects in body perception », Basic and Applied Social Psychology, 27, 213-227.

[vi] Yamimiya Y. (2007), Media exposure and males’ evaluation of the appearance of females, Graduate Thesis, University of South Florida.

[vii] Chou H. et Edge N. (2012), « They are happier and having better lives than I am: The impact of using Facebook on perceptions of others’ lives », Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 15 (2), 117-121.

[viii] Haferkamp N. et Krämer N. (2011), « Social comparison 2.0: Examining the effects of online profiles on social-networking sites », Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking, 14 (5), 309-314.