Le 21/11/2016. A l’occasion de la Journée Mondiale de la Télévision, le 21 novembre, l’IEB présente dans une série de trois articles plusieurs résultats intéressants de la recherche sur la relation entre consommation de télé et bonheur. Première partie: l’effet observé sur le bonheur du temps passé devant la télévision.
« La télévision n’exige du spectateur qu’un acte de courage, mais il est surhumain, c’est de l’éteindre. »
Pascal Bruckner
La télévision n’est pas un loisir comme les autres. Alors que la pratique de loisirs dope généralement le bonheur, la télévision, elle, a tendance à le diminuer chez ceux qui la regardent. Depuis les années 1980, les études académiques se multiplient pour montrer la corrélation négative entre temps passé devant la télé et satisfaction de la vie[i], un résultat qui n’est pas retrouvé pour les autres médias (radio, presse écrite, Internet).
La télé, gouffre temporel
Le lien négatif télé-bonheur est d’autant plus problématique que la télé est de loin le premier des loisirs dans de nombreux pays, où la consommation moyenne varie entre trois et cinq heures par jour.
Néanmoins, observer une corrélation ne signifie pas que l’on a trouvé une relation causale. La consommation de télé peut certes diminuer le bonheur. Mais on peut aussi concevoir qu’un déficit de bonheur peut amener à regarder davantage la télé. Et les deux relations peuvent très bien coexister dans un mouvement circulaire.
Des études récentes ont utilisé des tests indirects pour évaluer le sens du lien télé-bonheur. Par exemple, Bruno Frey et Christine Benesch, de l’université de Zurich, ont utilisé les données de l’European Social Survey pour évaluer les effets de la consommation de télévision sur le bonheur dans 32 pays européens. Leurs résultats suggèrent que la télé diminue bien le bonheur de ceux qui la regardent.
D’une part, la consommation de télé diminue davantage le bonheur de ceux qui ont peu de temps libre, ce qui tend à invalider l’hypothèse que la relation négative télé-bonheur serait essentiellement le fait de personnes initialement malheureuses qui ont un surcroît de temps libre car le reste de leur vie est peu rempli et peu satisfaisant.
D’autre part, l’impact négatif de la consommation de télé (notamment intensive, au-delà de deux heures et demie par jour) ressort encore plus marqué lorsqu’il y a un nombre important de chaînes à la disposition des téléspectateurs. On peut légitimement penser que ce n’est pas le bonheur des téléspectateurs qui influence le nombre de chaînes, mais plutôt le nombre de chaînes qui affecte le bonheur des téléspectateurs (en leur faisant passer plus de temps devant la télé, zapper davantage, etc.).
Le télé contre les activités sociales
Comment la télé peut-elle faire baisser le niveau de bonheur de ceux qui la regardent ? Plusieurs mécanismes ont été trouvés qui expliquent cet impact négatif. Il y a avant tout un effet de substitution: la télé prend la place d’autres activités plus directement reliées au bonheur, en premier lieu les activités sociales. Les gens qui regardent beaucoup la télévision ont moins d’interactions sociales que les autres et notamment passent moins de temps avec leurs amis[ii]. Si la télé phagocyte les autres activités, ce n’est semble-t-il pas à cause de ce qu’elle apporte à ceux qui la regardent. La télé n’est généralement pas associée à des émotions positives fortes. Au contraire, lorsqu’il est demandé aux individus d’évaluer en temps réel les émotions générées par les différentes activités de leur vie quotidienne, les moments passés devant la télé ressortent comme étant peu gratifiants, pas plus agréables que le rangement ou le ménage par exemple.
[i] Tankard J. et Harris M. (1980), « A discriminant analysis of television viewers and nonviewers », Joumal of Broadcasting, 24, 399-409; Espe H. et Seiwert M. (1987), « Television viewing types, general life satisfaction, and viewing amount: An empirical study in West Germany », Communications, 13, 95-110.
[ii] Bruni L. et Stanca L. (2008), « Watching alone: Relational goods, television and happiness », Journal of Economic Behavior et Organization, 65 (3-4), 506-528.