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Le 07/10/2016. Le rapport au temps est paradoxal. Objectivement nous avons de plus en plus de temps pour nous. En effet, le temps de travail légal a constamment reculé au xxe siècle, ainsi que le temps dévolu aux activités ménagères, laissant davantage de temps libre. Pourtant, le sentiment de pression temporelle aurait plutôt tendance à augmenter…

De plus en plus de gens disent en effet ressentir un stress temporel, notamment dans les catégories socioprofessionnelles élevées*. À comparer le ressenti des gens avec l’occupation effective de leur temps, il semble en fait s’agir d’une « illusion de pression temporelle »**, qui s’explique davantage par l’acceptation des multiples sollicitations modernes (la télé, le mobile, Internet, les réseaux sociaux…) que par des occupations contraintes. Cette illusion de pression temporelle atteint son paroxysme chez les couples sans enfant (qui ont mécaniquement moins de contraintes).

Or, il a été observé que ressentir du stress temporel diminuait la capacité à apprécier chaque instant ainsi que l’évaluation globale de sa vie. À l’inverse, ressentir qu’on a du temps libre et qu’on peut en user à sa guise a un effet très positif sur le bonheur, et cela même lorsque est contrôlé le temps libre effectif dont l’individu dispose***.

Donner de son temps pour en gagner

Comment réduire cette sensation désagréable de ne pas être maître de son temps ? Réponse contre-intuitive : en le donnant ! Lorsque nous sommes amenés à penser que notre temps est précieux, nous avons tendance à ressentir davantage de stress temporel. C’est le cas dans les expériences en laboratoire, lorsque les expérimentateurs indemnisent généreusement leurs étudiants (qui pourtant ont beaucoup de temps libre…) pour participer aux expériences. C’est aussi le cas de toutes ces activités quotidiennes que l’on fait au pas de course. Le seul fait de voir (y compris de manière subliminale !) des logos de chaînes de fast-food tend à nous faire accélérer le rythme de nos actes****.

Inversement, lorsque nous abandonnons du temps, nous avons tendance à nous comporter comme si ce temps était en abondance. Cassie Mogilner, Zoe Chance et Michael Norton, respectivement des universités Wharton, Yale et Harvard, ont testé dans une série de quatre expériences***** l’impact de différents usages de son temps (le gaspiller, l’utiliser pour soi, l’utiliser pour quelqu’un d’autre, et en gagner en se faisant exempter d’une tâche) sur la sensation subjective d’abondance temporelle. Ils ont obtenu que l’utilisation de son temps pour aider quelqu’un d’autre était la circonstance qui était associée avec la sensation d’abondance temporelle la plus marquée.

Les chercheurs ont expliqué le mécanisme de la manière suivante : en offrant son temps bénévolement, on augmente sa sensation d’auto-efficacité, c’est-à-dire la sensation d’être capable d’organiser efficacement sa vie. Et une fois animé de cette confiance, on est davantage capable de répondre aux multiples engagements de la vie quotidienne, si bien que la contrainte temporelle telle qu’elle est perçue se relâche. Ainsi, de manière paradoxale, on peut se donner du temps en le donnant aux autres.

Références :

*Hamermesh D. et Lee J. (2007), « Stressed out on four continents: time crunch or Yuppie Kvetch? », The Review of Economics and Statistics, 89(2), 374-383 ; Ng W., Diener E., Arora R. et Harter L. (2009), « Affluence, feelings of stress, and well-being », Social Indicators Research, 94, 257-271.

**Aguiar M. et Hurst E. (2007), « Measuring trends in leisure: The allocation of time over five decades », The Quarterly Journal of Economics, 122 (3), 969-1006.

***Eriksson L., Rice J. et Goodin R. (2007), « Temporal aspects of life satisfaction », Social Indicators Research, 80 (3), 511-533.

****Zhong C. et DeVoe S. (2010), « You are how you eat: Fast food and impatience », Psychological Science, 21, 619-622.

*****Mogilner C., Chance Z. et Norton M. (2012), « Giving time gives you time », Psychological Science, 23, 1233-1238.

(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)