ph-06Le 07/10/2016. Au même titre que le don, le bénévolat est connu des chercheurs pour augmenter fortement le bonheur de ceux qui s’y adonnent. Démonstration.

Dans le film Good Bye, Lenin !, Daniel Brühl incarne Alex, un jeune Allemand de Berlin-Est qui cache par tous les moyens à sa mère, fragilisée par un puis deux infarctus, la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande. Pour elle, ces événements historiques auraient représenté la fin d’un monde auquel elle était attachée viscéralement. Incarnant l’idéal socialiste, la mère d’Alex est aimée de tous dans son quartier de Berlin-Est pour son altruisme. Avant de tomber dans le coma, elle encadrait les chorales de jeunes, tout en s’occupant d’écrire à la machine les réclamations des habitants aux différentes administrations, sans jamais oublier d’y ajouter une pointe de morgue. Alex, qui a pris la responsabilité de la faire sortir de l’hôpital contre l’avis des médecins, craint le choc qu’elle ressentirait en prenant conscience de la défaite des valeurs dans lesquelles elle croit, en premier lieu l’entraide et le bénévolat.

Au-delà de la fiction, quel est exactement l’impact du bénévolat sur le bonheur de ceux qui le pratiquent ? Si, dans le film, la mère d’Alex avait trouvé dans ses activités une façon d’oublier la douloureuse séparation d’avec son mari, passé à l’ouest, et même une source de bonheur, elle n’est pas un cas isolé. Les études académiques sur le lien bénévolat-bonheur aboutissent systématiquement à une relation positive. Les bénévoles sont en moyenne plus heureux* et affichent même des indicateurs de santé physique meilleurs et des taux de mortalité plus faibles que le reste de la population**. Alex a donc raison de préserver sa mère et de lui organiser des séances de bénévolat factices.

La boucle bonheur-bénévolat

Plus précisément, la relation entre bénévolat et bonheur est marquée par la double causalité. Les gens plus heureux ont davantage de chances de se retrouver à faire du bénévolat, et le bénévolat augmente le bonheur de ceux qui le pratiquent. C’est par exemple ce qu’ont conclu Peggy Thoits et Lyndi Hewitt, de l’université Vanderbilt aux Etats-Unis, en analysant les réponses à deux enquêtes à trois ans d’intervalle sur le bonheur et les activités sociales des Américains***. Elles ont noté, d’une part, que le temps passé à faire du bénévolat rapporté dans la deuxième enquête augmentait avec le niveau de bien-être affiché dans la première. Elles ont aussi pu observer que le temps passé aux activités bénévoles renseigné lors de la première enquête était positivement associé aux changements des indicateurs de bien-être étudiés (bonheur, satisfaction de la vie, estime de soi, sensation de contrôle, santé physique, dépression) entre les deux enquêtes. Il y a donc entre bonheur et bénévolat un cercle véritablement vertueux.

Ostalgie

Ce faisant, les individus ont beaucoup à perdre lorsqu’ils interrompent leurs activités bénévoles. C’est le cas lorsque les institutions qui organisent ces activités s’arrêtent brutalement, pour des raisons politiques par exemple. Comme le suggère le film Good Bye, Lenin !, la réunification allemande en 1990 en offre une illustration saisissante.

Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, les activités associatives étaient encadrées par l’État socialiste et les entreprises publiques. Avec la réunification et l’adoption des structures de la République fédérale, la plupart des associations de l’ancienne RDA ont dû cesser leurs activités. Beaucoup d’Allemands de l’Est se sont alors retrouvés dans la situation de devoir arrêter leurs activités bénévoles. Avec des répercussions importantes sur leur bonheur. S’appuyant sur les données du panel socio-économique allemand recouvrées à partir de la chute du Mur, Stephan Meier et Alois Stutzer, de l’université de Zurich, ont pu comparer le niveau de bonheur des Allemands de l’Est en 1990 et 1992 (soit juste avant et juste après la réunification intervenue le 3 octobre 1990) et l’associer aux changements des pratiques bénévoles sur la période****. Si, au début de 1990, les Allemands de l’Est étaient relativement nombreux à participer à des activités associatives (29 %, dont 18 % fréquemment), les taux ont été réduits de moitié en deux ans du fait des changements politiques. Or, sur la période coïncidant avec la transition politique, le bonheur moyen des Allemands de l’Est a également significativement reflué.

Meier et Stutzer ont cherché à savoir si cette dégradation du bien-être était à relier avec la forte réduction des activités associatives. Pour cela, ils ont comparé les changements dans le bonheur rapporté par les Allemands de l’Est aux changements dans leurs pratiques associatives. Ceux qui ont continué comme avant à participer ou à ne pas participer à des activités associatives ont vu leur bonheur refluer d’une manière similaire. En revanche, ceux qui ont dû cesser ou réduire la fréquence de leurs pratiques ont vu leur bonheur chuter beaucoup plus fortement. Enfin, les (rares) Allemands de l’Est qui ont pu commencer à pratiquer le bénévolat entre 1990 et 1992 ont, eux, vu leur bonheur augmenter en moyenne sur la période.

Les Allemands de l’Est ont accueilli avec ferveur la réunification. Avec elle, ils ont beaucoup gagné en libertés individuelles et en niveau de vie. Ils ont pu profiter à plein des nouvelles possibilités de consommation de l’économie de marché grâce à la parité favorable dont ils ont bénéficié pour changer leurs économies en marks est-allemands en Deutsche Mark, un geste éminemment politique. Mais ils ont aussi beaucoup perdu en fréquence et en qualité des relations sociales. Au point de les rendre, au moins pour un temps, plus malheureux après qu’avant la réunification.

Ces résultats confirment peut-être une intuition que vous tenez depuis longtemps. Dans ce cas, vous pourrez dire à la manière de Rousseau : « Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter. »

Références :

*Borgonovi F. (2008), « Doing well by doing good. The relationship between formal volunteering and self reported health and happiness », Social Science and Medicine, 66, 2321-2334 ; Thoits P. et Hewitt L. (2001), « Volunteer work and well-being », Journal of Health and Social Behavior, 42, 115-131.

**Harris A. et Thoresen C. (2005), « Volunteering is associated with delayed mortality in older people: Analysis of the Longitudinal Study of Ageing », Journal of Health Psychology, 10 (6), 739-752.

***Thoits et Hewitt (2001)

****Meier S. et Stutzer A. (2008), « Is volunteering rewarding in itself? », Economica, 75 (297), 39-59.

(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)