co-08Le 07/10/2016. Chercher à être constamment au sommet de la pyramide sociale est un exercice fastidieux au résultat incertain. Plutôt qu’au bonheur, la recherche du statut est-elle à relier à des objectifs inconscients hérités de l’évolution ? Si oui, le jeu de la compétition statutaire mérite-t-il d’être joué ?

La psychologie évolutionnaire fournit un éclairage sur d’autres types de motivations à la base des formes les plus ostentatoires de la consommation. Selon cette discipline qui considère que nos mécanismes psychologiques, au même titre que nos attributs physiques, ont été sélectionnés par l’évolution pour leur capacité à répondre aux objectifs de survie et de reproduction, la consommation ostentatoire jouerait le même rôle de signalement que joue… la queue panachée chez le paon.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agirait pour le mâle d’afficher un attribut inutile mais très coûteux qui signalerait la qualité de son patrimoine (génétique dans le cas du paon, financier dans le cas de l’homme) en vue d’attirer des partenaires potentiels. La consommation statutaire serait donc une stratégie de reproduction utilisée essentiellement par les hommes qui répondrait à l’importance du statut socio-économique comme critère utilisé par les femmes (dans les différentes cultures) pour sélectionner leur partenaire*.

Dépenser pour séduire ?

Les premières études d’économie évolutionnaire vont dans le sens d’une confirmation de cette hypothèse. Dans plusieurs expériences, Vladas Griskevicius, de l’université d’Arizona, et plusieurs de ses collègues ont montré qu’exposer de jeunes hommes à des photographies de femmes attirantes avait pour conséquence de les inciter à vouloir allouer davantage de leur argent à des consommations statutaires (mais pas davantage aux autres types de consommations)**. Un tel effet n’a en revanche pas été trouvé chez les jeunes femmes exposées à leur tour à des photographies d’hommes séduisants. Ce résultat confirme et affine un peu plus les observations d’une autre étude, publiée quelques années auparavant par Margo Wilson et Martin Daly***, selon lesquelles les hommes exposés à des photographies de femmes attirantes avaient tendance à escompter davantage le futur, c’est-à-dire à privilégier leur consommation immédiate au détriment de l’épargne et de la consommation future.

Epargner ou donner pour séduire ?

D’autres études dans d’autres contextes culturels ont abouti, au contraire, à un taux d’épargne plus important chez les jeunes hommes ou leur famille lorsque le déséquilibre des sexes leur est très défavorable. Par exemple, dans les régions indiennes ou chinoises où le nombre de femmes est très inférieur au nombre d’hommes (à cause notamment des avortements de fœtus féminins et des infanticides), le taux d’épargne des familles ayant un enfant mâle est très supérieur à celui observé dans des familles similaires dans d’autres régions****. La raison est qu’à cause de la pénurie de femmes, il leur faut offrir une dot importante à la famille de l’épouse au moment du mariage.

Le mécanisme reste pour autant le même : se positionner comme un partenaire crédible du fait de ses ressources (réelles ou seulement affichées). De même, dans d’autres contextes encore, la démonstration de statut peut passer cette fois par des dons ostentatoires aux organisations caritatives**, sans que le mécanisme sous-jacent soit nullement modifié.

Le coût psychologique de la compétition

Selon des théories tirées de la psychologie évolutionnaire, la course pour le statut et la compétition pour les biens de luxe qui en découle pourraient n’être au final qu’une course, largement inconsciente, pour le sexe et la reproduction. Le problème avec cette compétition intrasexuelle (les hommes concourent contre les autres hommes) est qu’elle est à somme nulle. Les ressources engagées (le temps, l’énergie, l’argent…) pourraient être allouées à d’autres fins, l’épanouissement et la réalisation de soi par exemple, qui ne sont pas bornées, et ainsi mieux servir le bonheur. Surtout, il s’agit d’un cas classique de dilemme du prisonnier. Aucun des participants à cette course statutaire ne peut diminuer son effort unilatéralement sans risquer de perdre sur le front sexuel. Tous gagneraient pourtant à se coordonner pour diminuer ensemble leur effort et, par ricochet, être plus heureux.

Le coût social de la compétition

La compétition statutaire comporte aussi son lot d’« externalités négatives » (les effets indirects négatifs sur le reste de la société). Un exemple d’externalités négatives pour le bonheur de la course au statut est donné par Rainer Winkelmann, chercheur à l’université de Zurich, qui a étudié la satisfaction de la vie dans différentes localités suisses en fonction du nombre de véhicules de luxe (Porsche et Ferrari) dans ces localités. Faute de pouvoir avoir accès au nombre total de ces véhicules, Winkelmann l’a approximé à partir des nouvelles immatriculations. Il a alors pu observer, après avoir effectué des contrôles sur le niveau de vie moyen, que plus il y a de nouvelles immatriculations de Ferrari et Porsche dans une localité (une municipalité, une région ou un canton), plus la satisfaction de la vie moyenne dans cette localité diminue. Si le bonheur des détenteurs de ces véhicules a peut-être augmenté avec leur achat (ce qui n’a pu être testé), l’effet global, lui, est négatif. L’impact défavorable sur les autres fait plus que compenser l’impact éventuellement favorable pour ces propriétaires. À quand un malus statutaire en plus du malus écologique ?

Références :

*Buss D. (1989), « Sex differences in human mate preferences: Evolutionary hypotheses tested in 37 cultures », Behavioral and Brain Sciences, 12, 1-49.

**Griskevicius V., Tybur J., Sundie J., Cialdini R., Miller G. et Kenrick D. (2007), « Blatant benevolence and conspicuous consumption: When romantic motives elicit strategic costly signals », Journal of Personality and Social Psychology, 93, 85-102.

***Wilson M. et Daly M. (2004), « Do pretty women inspire men to discount the future? », Proceedings of the Royal Society of London, 271, 177-179.

****Wei C. et Zhang X. (2009), « The Competitive Saving Motive: Evidence from Rising Sex Ratios and Savings Rates in China », NBER Working Paper, n° 15093 ; Chiu A., Headey D. et Zhang X. (2010), « Are India’s gender imbalances inducing higher household savings? », Agricultural and Applied Economics Association.

 

(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)