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Le 07/10/2016. Le statut est clairement un élément important à l’esprit des gens lorsqu’ils achètent un bien durable comme une voiture ou un logement. Même s’ils ont des difficultés à le reconnaître…

Dans une étude intitulée « Honnêtement, pourquoi conduisez-vous une BMW ? », deux économistes de l’université de Göteborg ont envoyé un questionnaire à 2 500 Suédois concernant les choix en matière de transport. Dans le questionnaire, il était demandé aux sondés de dire à quel point différents critères étaient importants pour eux-mêmes au moment d’acheter une nouvelle voiture, mais aussi pour les autres (c’est-à-dire pour le Suédois moyen). Puis ils ont comparé ces réponses à celles d’un groupe de 100 vendeurs de voitures questionnés par téléphone sur les préférences de leurs clients.

Les BMW sont moins vertes ailleurs…

Les résultats de cette étude sur les acheteurs de BMW sont édifiants. D’abord, les sondés ont eu tendance à se présenter comme très différents de leurs concitoyens quant à l’importance de la dimension statutaire dans leurs décisions. Si le statut est présenté comme étant un critère mineur dans leurs propres décisions (loin derrière les autres critères et notamment la performance environnementale), il n’en va pas de même pour les décisions des autres où il est jugé beaucoup plus important. Inversement, la performance environnementale est présentée par les sondés comme étant beaucoup plus importante pour eux que pour les autres…

Les réponses des vendeurs permettent de dire si les interprétations des acheteurs sont plus justes pour leurs propres choix ou pour ceux des autres. Or, celles-ci se rapprochent beaucoup plus des réponses concernant les attitudes d’autrui. Selon les vendeurs, et on peut croire en leur expertise dans le domaine, la dimension statutaire est en fait centrale lorsqu’on achète une voiture en Suède. Il semble donc que les sondés soient engagés dans une démarche (consciente ou inconsciente) de tromperie de soi visant à entretenir une image personnelle plus positive. A priori les individus savent pertinemment que le statut importe beaucoup, mais refusent d’admettre être eux-mêmes à la recherche de statut.

Le bonheur est en haut de la pyramide
Comment expliquer la consommation statutaire ? Une hypothèse est que celle-ci vise le bonheur. En effet, dans de nombreux domaines, il a été observé que la position de l’individu par rapport aux autres a un impact important sur son bien-être subjectif. À revenus identiques, on se sent d’autant mieux que les autres gagnent moins. On vit beaucoup mieux le chômage lorsque le taux de chômage est élevé ou quand des proches sont également au chômage. On est également moins satisfait de son apparence physique (et de sa vie) quand les autres autour de soi sont plus beaux. Le seul contact avec quelqu’un qui a les attributs extérieurs (la tenue, le nom, le langage…) d’un niveau social supérieur entraîne des changements physiologiques (un rythme cardiaque accéléré et une pression artérielle augmentée) qui attestent d’une chute de la sensation de bien-être*.

La concentration de sérotonine, un neurotransmetteur généralement associé au bonheur et au bien-être, est plus élevée chez les individus ayant un statut social élevé, dans les sociétés humaines** mais également chez les singes***. Chez ces derniers, quand le mâle alpha est enlevé d’un groupe, le nouveau mâle alpha connaît une élévation de la concentration de sérotonine, laquelle s’annule lorsque l’ancien mâle dominant est réintroduit dans le groupe et reprend sa place dans la hiérarchie.

Maladies statutaires
Chez les humains, le niveau social influence jusqu’à la santé et l’espérance de vie. Michael Marmot, professeur d’épidémiologie à l’University College de Londres, montre dans son livre The Status Syndrome que la position sur l’échelle sociale influence la mortalité, laquelle est très supérieure dans les classes populaires par rapport aux classes plus élevées, et ce même après contrôle des différences de revenus, d’éducation et de comportements à risque (comme la consommation d’alcool ou de tabac).

Dans les catégories de la population les plus favorisées, les différences de statut ont également un impact fort sur la santé. Des chercheurs**** ont ainsi obtenu que les acteurs d’Hollywood oscarisés vivaient 3,9 années de plus en moyenne que des acteurs comparables n’ayant jamais été distingués (et 3,6 années que les perdants aux oscars). Idem pour les réalisateurs qui ont connu cette récompense. Un effet similaire a été obtenu au sein de la communauté des chercheurs. Les lauréats du prix Nobel vivent en moyenne entre un et deux ans de plus que les nominés et l’effet n’est pas réductible à la récompense financière obtenue (8 millions de couronnes norvégiennes, soit environ 900 000 euros, à diviser entre les lauréats)*****.

Le bonheur, un produit de luxe ?
La consommation statutaire serait alors une façon de signaler aux autres et à soi-même son appartenance à un groupe social plus élevé afin de tirer les bénéfices hédoniques de cette reconnaissance. Et effectivement, il a été obtenu que la consommation de biens de luxe avait un impact positif sur le bien-être subjectif.

À partir d’une enquête menée dans la partie néerlandophone de la Belgique, Liselot Hudders et Mario Pandelaere, chercheurs à l’université de Gand, ont observé que les individus qui arbitraient souvent en faveur de produits de luxe pour différents types de consommations (bijoux, vins, vêtements, voyages…) avaient tendance à rapporter avoir davantage d’émotions positives, moins d’émotions négatives et une meilleure satisfaction de la vie par rapport à ceux qui optaient plus rarement pour des produits de luxe******.

L’effet sur les émotions ne dépend pas du niveau de matérialisme de l’individu : que l’on soit très matérialiste ou pas, consommer des biens de luxe a un effet émotionnel positif à court terme. En revanche, l’impact de la consommation de produits de luxe sur la satisfaction de la vie ressort plus important chez les personnes ayant des valeurs matérialistes puisque, par définition, ils valorisent davantage leur vie selon le critère des possessions matérielles.

Mais cet effet plus important n’est pas suffisant pour renverser les différences initiales de satisfaction de la vie. Comme les personnes matérialistes ont, toutes choses égales par ailleurs, une satisfaction de la vie moins élevée que les autres, celles qui consomment régulièrement des produits de luxe se retrouvent avec une satisfaction de la vie qui reste inférieure à celle des individus moins matérialistes qui en consomment moins souvent. Ainsi, valoriser les possessions matérielles et afficher les siennes de manière ostentatoire ne semble pas être la voie la plus directe vers le bonheur…

Références:

*Long J., Lynch J., Machiran N., Thomas S. et Manilow K. (2004), « The effect of status on blood pressure during verbal communication », Behavior Science, 5 (2), 165-172.

**Frank R. (1985), Choosing the Right Pond. Human Behavior and the Quest for Status, Oxford University Press.

***McGuire M., Raleigh M. et Brammer G. (1982), « Sociopharmacology », Annual Review of Pharmacological Toxicology, 22, 643-661.

****Redelmeier D. et Singh S. (2001), « Survival in academy award-winning actors and actresses », Annals of Internal Medicine, 134 (10), 955-962.

*****Rablen M. et Oswald A. (2008), « Mortality and immortality: The Nobel Prize as an experiment into the effect of status upon longevity », Journal of Health Economics, 27 (6), 1462-1471.

******Hudders L. et Pandelaere M. (2012), « The silver lining of materialism: the impact of luxury consumption on subjective well-being », Journal of Happiness Studies, 13 (3), 411-437.

(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)