INTERVIEW. L’Express Votre Argent le 15/01/2015. Vous n’avez pas les moyens d’acheter votre logement ? Relativisez, cela ne devrait pas vous empêcher d’être heureux ! Vous êtes déjà propriétaire ? Pas de quoi vous garantir la félicité éternelle… Les liens entre propriété et bonheur ne sont en effet pas si évidents qu’on le croit, explique Mickaël Mangot.
VotreArgent. Vous avez épluché les études analysant le lien entre propriété et bonheur : quelle conclusion inattendue en tirez-vous ?
Mickaël Mangot. Ce que les études montrent, c’est qu’au final, l’impact moyen de la propriété sur le bonheur n’est que légèrement positif. Certes, elles mettent en évidence de multiples effets positifs, mais ceux-ci sont en partie annulés par des effets négatifs, alors que d’autres effets sont pour le moins ambigus car très dépendants du contexte et de la personnalité de l’acquéreur.
VA. Un exemple d’effet ambigu ?
MM. Considérez l’impact du statut de propriétaire sur la vie sociale -qui est, nous le savons, une composante fondamentale du bonheur. D’un côté, on remarque que les propriétaires s’impliquent davantage que les locataires dans les relations sociales avec leur voisinage : ces relations sont plus fréquentes et plus profondes. En outre, ils participent plus à la vie locale, politique ou associative. Tout cela est positif pour le bonheur.
Mais la propriété a également un impact négatif sur la vie sociale en dehors des relations de voisinage. Les études laissent apparaître que les propriétaires ont tendance à rogner leur temps de loisirs et le temps passé avec leurs amis au profit du temps passé en solo à la maison.
VA. Vous soulignez aussi un effet ambivalent sur le sentiment de contrôle sur sa vie, autre point clé du bonheur : pourquoi ?
MM. D’un côté, le propriétaire peut avoir un sentiment plus fort de contrôle sur sa vie car il n’est plus dépendant du bon vouloir d’un propriétaire. Il peut, par exemple, effectuer les travaux qu’il souhaite dans son logement et n’a plus à craindre qu’on lui demande un jour de déménager.
Mais le statut de propriétaire peut aussi engendrer un sentiment de perte de contrôle sur sa vie car la richesse personnelle fluctue alors en fonction de la valeur du bien. Donc en fonction des décisions des voisins, de l’évolution du marché immobilier, des changements dans le quartier…
VA. L’impact positif sur l’estime de soi semble en revanche indéniable…
MM. Oui. L’accession à la propriété agit comme un boosteur d’estime de soi de manière directe en renforçant notre sentiment d’auto-efficacité – « je suis capable de réaliser un projet d’envergure ». Il y a d’autre part un effet indirect via l’amélioration de notre image sociale. Or, la représentation aux yeux des autres joue un rôle important pour le bien-être psychologique.
VA. Que dire du bonheur des enfants : est-il affecté par le statut de propriétaires ou locataires de leurs parents ?
MM. Oui, et les enfants de propriétaires semblent avoir l’avantage. Ils arrêtent moins fréquemment leurs études tôt, ont de meilleurs taux d’obtention du bac et de meilleurs salaires une fois adultes. Cela s’explique notamment par une meilleure qualité du logement – il est mieux adapté à la composition de la famille – et par une plus grande stabilité de l’environnement – ils restent plus longtemps dans le même quartier, ce qui leur permet de construire de meilleures relations sociales. Ces études écartent, bien sûr, l’effet du niveau de vie (ce dernier tend à être supérieur à long terme pour les propriétaires).
VA. Les propriétaires sont souvent moins mobiles, faut-il en conclure qu’ils sont davantage menacés par le chômage ?
MM. Même si les propriétaires sont clairement moins mobiles que les locataires, moins à même de déménager pour un emploi, on constate que leur taux de chômage est en moyenne moins élevé que celui des locataires. Si un propriétaire aura clairement plus de réticences qu’un locataire à répondre à une offre hors de sa zone, il aura généralement moins de réticences qu’un locataire à accepter un emploi dans sa zone, même peu satisfaisant, s’il a un crédit sur les épaules. Sur ce point, il y a une différence de comportement très nette entre le propriétaire avec et sans crédit.
VA. De manière générale, le logement pèse-t-il lourd dans le bonheur ?
Non. Le logement n’a déjà pas une dimension saillante dans le bonheur, et c’est encore moins le cas pour le statut de propriétaire ou locataire. D’autres dimensions pèsent bien plus, comme le statut conjugal et l’emploi, ou encore le niveau de revenus. Quand on demande aux sondés de réfléchir à leur vie et à leur bonheur, ce qui ressort comme important, c’est la vie de famille, la vie amicale, les loisirs, le travail. Pas le logement. Dans une optique de quête du bonheur, il ne parait donc pas opportun de se focaliser sur un projet immobilier.
Retenez en outre que les rares études ayant analysé les effets de l’accession à la propriété sur le long terme montrent que les impacts positifs sur le bonheur se dissipent après quelques années, environ trois ans. Il y a, comme souvent, un effet d’adaptation. Au final, l’impact le plus important de l’accès à la propriété sur le bonheur est généralement constaté… avant l’acquisition !
VA. Au-delà des moyennes, l’effet de la propriété sur le bonheur sera-t-il plus important chez certains individus plutôt que d’autres ?
MM. Oui. Si l’impact moyen est légèrement positif, deux catégories d’individus sont davantage susceptibles de profiter des effets positifs de la propriété : les jeunes et les plus modestes. Pour les jeunes, la propriété est souvent une étape importante pour l’estime de soi et le sentiment d’auto-efficacité, alors que les plus âgés savent déjà de quoi ils sont plus capables et trouveront de quoi renforcer leur estime de soi dans d’autres dimensions, comme la situation professionnelle ou les enfants. Pour les plus modestes, la propriété a un réel impact statutaire, alors que les plus aisés n’ont pas besoin de posséder leur logement pour afficher leur statut ou leur réussite.
Tout dépend aussi des personnalités et des perceptions. Souvenez-vous de la question du sentiment de contrôle sur sa vie. Si vous avez besoin de pouvoir abattre un mur chez vous quand bon vous semble pour avoir le sentiment de maîtriser votre vie, le statut de locataire pèsera alors négativement sur votre niveau de bonheur. Si, en revanche, le fait que la valeur de votre bien puisse fluctuer à la baisse sans que vous ne puissiez agir vous rend nerveux et affecte votre sentiment de contrôle, c’est le statut de propriétaire qui impactera négativement votre bonheur. Primo-accédant, ‘connais-toi toi-même’ avant de sauter le pas !