Le 07/10/2016. Si le chômage est si préjudiciable pour le bien-être psychique, bien au-delà de la seule perte de revenus qu’il occasionne, faut-il s’évertuer à le réduire à tout prix, par exemple en autorisant les emplois très mal payés ? Eléments de réponse avec l’exemple allemand.
Très politique, la question est aussi très controversée. L’exemple allemand fournit toutefois une expérience grandeur nature qui offre des enseignements précieux. Parmi les réformes réalisées sous le gouvernement Schröder pour flexibiliser et améliorer le marché du travail allemand (appelées aussi réformes Hartz car inspirées par Peter Hartz, alors directeur des ressources humaines de Volkswagen) figurait la réforme Hartz II d’avril 2003 qui créa de nouveaux contrats de travail plus précaires, assujettis à des contributions sociales plus faibles en échange de droits sociaux également réduits (les minijobs et les midijobs).
Les conséquences de ces réformes du marché du travail ont fait l’objet d’analyses scrupuleuses par de nombreux chercheurs en Allemagne. Analysant les données du panel socio-économique allemand de 1990 à 2006, des chercheurs* ont ainsi pu comparer la satisfaction de la vie des salariés allemands en contrats précaires (anciens et nouveaux) avec celle de chômeurs aux profils identiques. Et la conclusion est sans appel : pour tous les types d’emplois considérés, l’emploi précaire est associé à une satisfaction de la vie supérieure à celle que génère le chômage.
Se remettre en selle
Une deuxième étude** s’est intéressée à un autre pan de la réforme du marché du travail allemand : l’instauration par la réforme Hartz IV, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, des « emplois à 1 euro », c’est-à-dire d’emplois visant à remettre sur le marché du travail des chômeurs (notamment de longue durée) en leur offrant une rémunération complémentaire (1 ou 2 euros par heure) qui s’ajoute aux différentes allocations sociales perçues par les chômeurs. Sur la base de données de panel, Melike Wulfgramm, de l’université de Brême, observe que les participants au programme d’activation affichent une satisfaction de la vie supérieure à ceux qui perçoivent les mêmes allocations sociales mais n’ont pas recommencé à travailler.
L’effet est d’autant plus prononcé que la personne considère que l’emploi occupé correspond bien à ses compétences et augmente effectivement ses chances de trouver un emploi moins précaire dans le futur. L’effet disparaît en revanche quand le participant considère l’emploi occupé comme dégradant.
La perception est une fois de plus un élément déterminant dans la médiation entre la situation objective d’un individu et son niveau de bonheur. Et la perception dépend du type de cadrage qui est utilisé par l’individu pour juger de sa situation. Adopter un cadrage étroit où l’emploi est évalué sur le seul plan financier (« À ce niveau de salaire, cela vaut-il le coup que je travaille ? ») ne permet pas d’appréhender ses autres dimensions et peut dès lors conduire à rejeter des solutions qui pourtant seraient efficaces pour améliorer son bien-être psychique. Un euro de plus peut parfois faire une grande différence.
Références :
*Grün C., Hauser W. et Rhein T. (2010), « Is any job better than no job? Life satisfaction and re-employment », Journal of Labour Research, 31, 285-306.
**Wulfgramm M. (2011), « Can activating labour market policy offset the detrimental life satisfaction effect of unemployment? », Socio-Economic Review, 9, 477-501.
(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)