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Le 06/10/2016. La satisfaction de la vie telle qu’elle est rapportée par les individus dans les enquêtes est significativement plus basse pour les chômeurs que pour les actifs occupés partageant les mêmes caractéristiques socio-économiques*.

Quand on perd son emploi, il n’y a pas d’adaptation complète avec le temps. L’impact négatif du chômage est très fort la première année puis reflue un peu mais reste significatif à long terme**.

Surcoût psychologique

La perte de bien-être du chômeur ne se résume pas à une perte de revenus. Il a été observé que celle-ci n’expliquait qu’un quart de la perte de bien-être consécutive à la perte de son emploi***. Le reste est à rapprocher de la perte dans les autres dimensions du travail (la dimension sociale, la dimension statutaire, la dimension expérientielle…). Le chômage est généralement associé à une moindre appréciation de sa situation financière mais aussi de sa vie sociale.

Allocations impuissantes

La conséquence pour les politiques publiques est immédiate : distribuer des allocations chômage généreuses serait insuffisant pour ramener le bonheur des chômeurs au niveau de celui des personnes en emploi. Par exemple, une autre étude que celle déjà citée estime qu’en Angleterre, il faudrait offrir une indemnité de chômage égale à sept fois le salaire perdu pour compenser l’effet très négatif de la perte d’emploi! Autant dire que les allocations chômage ne peuvent pas grand-chose contre la misère psychologique des chômeurs.

En revanche, il a été observé que le montant des allocations chômage est positivement corrélé avec le sentiment de sécurité face à l’emploi. La perspective d’allocations de remplacement rassure les salariés mais, si le chômage se matérialise, n’est plus qu’une rustine très insuffisante.

Un effet d’adaptation est néanmoins observé avec l’expérience des périodes de chômage : le bonheur chute moins quand on perd son emploi si on a déjà fait dans le passé l’expérience d’une période de chômage. (L’effet négatif des périodes de chômage sur les rémunérations futures suit d’ailleurs la même dynamique). La première fois est clairement la plus difficile sur le plan psychologique.

Scarification psychologique

Par ailleurs, l’effet négatif du chômage sur le bonheur individuel demeure encore perceptible même après le retour à l’emploi. L’impact est d’autant plus prononcé que la période de chômage a été longue. Différentes études sur le sujet ont montré que l’effet prolongé sur le bonheur relevait d’une scarification psychologique profonde (une estime de soi amputée, une identité sociale dégradée)**** et d’un changement durable de perception de l’environnement (un sentiment amplifié d’insécurité face à l’emploi)*****. La plaie psychologique se cicatrise seulement quand l’individu quitte le chômage pour partir à la retraite. Il retrouve alors immédiatement un niveau de satisfaction de la vie bien supérieur, identique à celui des retraités n’ayant pas connu le chômage******.

Références:

*Di Tella R., MacCulloch R. et Oswald A. (2003), « The macroeconomics of happiness », Review of Economics and Statistics, 85, 809-827 ; Argyle M. (2001), The Psychology of Happiness, Taylor and Francis ; Frey B. et Stutzer A. (2002), Happiness and Economics. How the Economy and Institutions Affect Human Well-Being, Princeton University Press.

**Clark A., Diener E., Georgellis Y. et Lucas R. (2008), « Lags and leads in life satisfaction: a test of the baseline hypothesis », Economic Journal, 118, 222-243.

***Frey et Stutzer (2002)

****Clark A., Georgellis Y. et Sanfey P. (2001), « Scarring: The Psychological Impact of Past Unemployment », Economica, 68, 221-241.

*****Knabe A. et Ratzel S. (2009), « Scarring or scaring? The psychological impact of past unemployment and future unemployment risk », Economica, 78 (310), 283-293.

******Hetschko C., Knabe A. et Schöb R. (2014), « Changing Identity: Retiring From Unemployment », The Economic Journal, 124 (575), 149-166.

(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)