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Presque un Français sur deux (1) est tenté de se lancer dans l’entrepreneuriat. Est-ce une bonne idée financièrement ?

Plusieurs études internationales tendent à montrer que les entrepreneurs ne gagnent en moyenne pas plus que les salariés. Sans compter qu’à profils comparables, leurs revenus sont plus variables et leur protection sociale plus faible. Tout comme la croissance de leurs revenus durant leur carrière, ce qui peut s’expliquer par un niveau de formation continue et d’investissement technologique moindres. Économiquement, ce choix n’est donc pas rationnel.

En outre, qui dit risque élevé dit normalement, en matière d’investissement, meilleure perspective de rendement. Or, ce n’est pas le cas avec l’entrepreneuriat, le risque n’est clairement pas rémunéré. Il est d’autant plus important que le patrimoine des entrepreneurs est sous diversifié. Leur capital est souvent majoritairement investi dans l’entreprise. Quitte à prendre des risques, rester salarié et placer tout son argent en Bourse, où le risque paie mieux, est plus optimal.

Pourquoi se lancer, alors ?

Ceux qui sautent le pas sous-estiment généralement le risque. Les études montrent que l’entrepreneur est globalement moins averse au risque et plus confiant en lui que le reste de la population. Sa sensation, ou plutôt illusion, de contrôle de la situation fausse sa perception. Malgré le risque objectif, il a paradoxalement l’impression d’une plus grande sécurité de l’emploi. Et pense que miser sur lui-même est plus sûr que sur des titres de grandes sociétés.

A cela s’ajoute une surestimation de sa capacité à « faire fortune ». Nous avons tendance à nous laisser séduire par l’idée de décrocher le jackpot. L’économie comportementale explique que nous surestimons d’ailleurs souvent les toutes petites probabilités – par exemple quand nous jouons à loterie.

On retrouve finalement à la racine de l’entrepreneuriat des biais psychologiques classiques : excès de confiance et d’optimisme, surestimation des probabilités extrêmes. Il faut une dose d’irrationalité pour faire ce pari !

L’entrepreneuriat dope-t-il au moins le bonheur ?

Les chefs d’entreprise sont 51% à se dire très satisfaits de leur travail, contre seulement 35% des salariés, indique une enquête récente de l’Institut de l’économie du bonheur, que je dirige. C’est le paradoxe de l’entrepreneur : une activité qui paie mal et de manière incertaine, qui consomme beaucoup de temps, qui est peu protégée mais qui est jugée très positivement grâce à ses atouts non économiques – autonomie, flexibilité, sensation de contrôle, sens trouvé dans le travail.

On note toutefois une nette différence entre ceux qui étaient au chômage avant de devenir entrepreneur et les autres : ceux qui se sont lancés par choix et non par défaut sont en moyenne plus heureux professionnellement.

Malgré cette satisfaction professionnelle accrue, les entrepreneurs ne se disent au final toutefois pas plus satisfaits de leur vie globale que les salariés. Ils sont moins satisfaits de leur vie familiale et sociale, de leurs loisirs – des éléments clés car ils pèsent davantage sur le bonheur que le travail. Passion dévorante, l’entrepreneuriat écrase les autres dimensions de la vie.

Ce qui frappe aussi, c’est que l’entrepreneuriat est devenu le réceptacle de toutes les aspirations non comblées par ailleurs, comme la quête de sens. Il répond à une insatisfaction croissante, surtout de la nouvelle génération, face à un modèle salarial qui montre ses limites. Pour éviter les déconvenues, il faut veiller à ne pas y voir l’assurance d’un bonheur futur. L’entrepreneuriat est davantage une expérience initiatique, qui va développer votre capital psychologique (estime de soi, sentiment d’auto-efficacité), que la voie royale vers le bonheur.

(1) 45 %, selon une enquête Opinionway de juin 2017.