Le 07/10/2016. Si dans tous les paysfig1 le bonheur augmente avec les revenus, la relation semble être plus marquée au sein des pays en développement. Pourquoi un tel phénomène ?

Un détour par la « hiérarchie des besoins » permet de donner du sens à la relation particulière entre revenus des pays et satisfaction de la vie à l’intérieur de ces pays. Dans les années 1940-1950, le psychologue américain Abraham Maslow ébaucha une théorie selon laquelle les besoins humains pouvaient être représentés sous la forme d’une pyramide comprenant cinq étages, soit de la base au sommet :

  • les besoins physiologiques ;
  • le besoin de sécurité ;
  • le besoin d’appartenance et d’amour ;
  • le besoin d’estime ;
  • le besoin de réalisation de soi.

Selon la théorie de Maslow, c’est seulement lorsque les besoins d’un échelon sont satisfaits que l’individu cherche à satisfaire les besoins de l’échelon supérieur. Lorsqu’un besoin inférieur n’est plus satisfait, l’individu se reconcentre sur ce besoin.

Plus tard, entre les années 1970 et 1990 (après la mort de Maslow), trois étages furent rajoutés au sommet de la pyramide :

  • les besoins de compréhension et de connaissance ;
  • les besoins esthétiques ;
  • le besoin, ultime, de transcendance.

Dans sa dernière version, la pyramide comporte donc huit étages. Les quatre étages inférieurs représentent les besoins liés à des déficiences, tandis que les quatre étages supérieurs traduisent les besoins dits de réalisation.

Une théorie plutôt bien validée

Les tests de la hiérarchie des besoins posée par Maslow ont obtenu des résultats ambivalents. D’un côté, on observe effectivement que la satisfaction des besoins intervient généralement selon la séquence imaginée par Maslow, avec notamment la satisfaction des besoins physiologiques et de sécurité qui a lieu avant la satisfaction des autres besoins. D’un autre côté, la séquence ne vaut pas pour tous les individus sans exception. Par exemple, certains cherchent à répondre à leurs besoins supérieurs même lorsque les besoins plus basiques ne sont pas satisfaits (l’artiste fauché…).

Des besoins qui changent avec le niveau de richesse

Néanmoins, la séquence entrevue par Maslow fournit une approximation suffisamment juste pour décrire les différences de comportements entre les individus riches et pauvres. Dans une étude internationale[i] s’intéressant à la relation entre revenu, satisfaction des différents besoins et bonheur, Louis Tay et Ed Diener, chercheurs à l’université de l’Illinois, ont obtenu que les revenus servaient bien à satisfaire les besoins dans l’ordre avancé par Maslow et qu’une fois cette satisfaction des besoins prise en compte, le revenu avait un impact nul sur le bonheur. Le revenu apparaît ainsi uniquement comme un instrument au service de la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Le revenu n’apporte aucune satisfaction en soi. Et si l’on trouve d’autres moyens que le revenu pour satisfaire ses besoins, on peut tout à fait atteindre un haut niveau de bonheur. Par ailleurs, il ressort de l’étude de Tay et Diener que les besoins basiques sont les besoins qui influencent le plus l’évaluation de la vie.

Les études internationales ont montré une relation concave entre les revenus des pays et le bonheur moyen de leurs habitants : cette relation entre revenu moyen et bonheur est toujours positive mais de moins en moins nette à mesure que l’on progresse dans le classement des pays selon leurs revenus. Cette relation particulière peut dès lors se comprendre si l’on considère que l’argent permet de répondre directement aux besoins les plus immédiats des populations des pays pauvres (les besoins liés aux déficiences), alors que l’argent ne peut satisfaire aussi facilement les besoins des habitants des pays riches (les besoins de réalisation). L’argent est un instrument beaucoup plus efficace pour manger, se loger et se chauffer que pour se réaliser.

[1] Tay L. et Diener E. (2011), « Needs and subjective well-being around the world », Journal of Personality and Social Psychology, 101 (2), 354-365.

 

(le contenu de cet article est tiré du livre Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)