logo-the-huffington-postTRIBUNE. Le Huff Post, le 20/3/2018. Une tribune de Mickaël Mangot, directeur général de l’IEB, parue sur le site du Huff Post.

C’est rappeler une évidence que de dire que le travail occupe une place au centre de nos existences. Il s’accapare la majeure partie de notre temps éveillé, aspire notre énergie, nos pensées aussi. Ce qui n’était pas évident, en revanche, c’est que l’on en soit encore là, en 2018, dans un pays développé, éduqué et moderne comme la France.

Dans Possibilités économiques pour nos petits-enfants, paru en 1930 pendant la Grande Dépression, Keynes considérait que l’homme allait rapidement devoir entreprendre une révolution sous la pression du progrès économique et technologique exponentiel. Pour Keynes, dans des sociétés devenues collectivement riches, l’individu allait travailler tout au plus quinze heures par semaine et saurait comment employer son temps libre à des fins utiles, à la différence des aristocrates de son époque. Quatre-vingt-dix ans plus tard, nous sommes tous les petits-enfants de Keynes. Et nous travaillons toujours beaucoup plus que quinze heures par semaine…
Avons-nous raison de laisser au travail sa prééminence sur le reste? L’économie du bonheur, qui regarde comment les situations économiques personnelles influencent le bien-être subjectif (déclaré), offre de nouveaux outils pour évaluer les effets du travail sur notre vie. Elle aide en cela à répondre à certaines questions fondamentales.
D’abord, faut-il nécessairement travailler pour être heureux ? Pour répondre, les économistes du bonheur comparent les niveaux de satisfaction de la vie selon le statut personnel face à l’emploi. Il ressort de cet exercice que les retraités et les femmes au foyer ne sont en moyenne ni plus ni moins satisfaits de leurs vies que leurs comparables qui occupent un emploi. A l’inverse, les chômeurs affichent un déficit de satisfaction de la vie considérable par rapport aux actifs (comparables) en emploi, de l’ordre d’un point sur une échelle de 0 à 10. L’écart s’explique en grande partie par des facteurs non économiques. C’est la perte de relations sociales, de statut et d’occupation qui ampute le bonheur bien davantage que la baisse des revenus (laquelle n’explique qu’entre un quart et un tiers de l’effet selon les pays). Pour ces trois catégories de la population, la satisfaction est toutefois radicalement différente que l’on ait ou non choisi son statut. L’inactivité au sens économique est beaucoup mieux vécue quand elle est la conséquence d’un choix personnel que lorsqu’elle est imposée par la conjoncture, des règles administratives ou des conventions sociales.
Le travail ne semble pas davantage propice au bien-être émotionnel (la balance des émotions positives et négatives ressenties dans une journée). Même lorsque l’on apprécie son emploi, on ne fait pas l’économie d’émotions négatives fréquentes, notamment le stress. En conséquence, le travail fait partie des activités quotidiennes les moins gratifiantes émotionnellement, au même niveau que le transport vers et depuis le lieu de… travail.

Faut-il néanmoins aimer son travail pour aimer sa vie ? Contre toute attente, les économistes du bonheur observent une corrélation seulement modeste (autour de 0,4) entre la satisfaction de son emploi et la satisfaction de sa vie. Il y a pléthore d’individus qui aiment leur vie sans aimer leur travail ou qui aiment leur travail sans aimer leur vie. Deux mécanismes psychologiques jouent contre une relation plus solide. Il y a d’abord un effet d’éviction chez ceux qui adorent leur travail, comme les entrepreneurs. Ils y passent souvent beaucoup de temps, négligeant les autres pans de la vie, dont ils se montrent moins satisfaits. A l’autre bout du spectre, on observe un effet de repondération chez les personnes qui n’apprécient pas leur emploi. Ils en viennent, avec le temps, à minorer l’importance du travail dans la vie et à le subordonner aux autres dimensions (la vie de famille notamment).

Pourquoi dès lors donner au travail une place si importante ? Plusieurs réponses peuvent être apportées. Elles mêlent économie et psychologie.

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