journée mondiale du bénévolatVous croiserez surement des bénévoles en cette fin d’année, marquée par ses fêtes et ses élans de solidarité. Certains récoltent denrées alimentaires et biens de première nécessité pour des associations, d’autres appellent au don entre deux magasins ou sont là pour emballer vos cadeaux de Noël. Ils n’ont pas attendu le 5 décembre et sa journée mondiale du bénévolat pour donner de leur temps. Mais comment et pourquoi donner son temps ?

Commencer par arrêter de penser que le temps c’est de l’argent !

A priori pas évident de consacrer du temps à des activités sans récompense financière. En fait, la recherche de l’optimisation économique (pensée par Benjamin Franklin avec le fameux « Le temps c’est de l’argent ») amène à occulter les autres usages possibles du temps et leurs bénéfices sur le bonheur. Le temps et l’argent enclenchent différents états d’esprit. Nous considérons nos choix relatifs à l’usage de notre temps comme fortement connectés à notre identité profonde tandis que les choix relatifs à l’argent amènent à raisonner de manière rationnelle et économique et à se représenter soi-même en situation de compétition pour le statut social.

Il a été observé que les personnes amenées à penser à l’argent par une manipulation simple (lire un texte, écrire un texte, jouer un jeu, être en contact avec une affiche…) changeaient de comportement à court terme. Penser à l’argent augmente ponctuellement la propension à travailler, s’adonner à des activités solitaires, rechercher la solution à ses problèmes de manière autonome. Inversement, penser à l’argent diminue la propension à faire un don à une association, aider les personnes qu’on rencontre, faire du bénévolat, socialiser…

Amener les gens à penser à l’utilisation de leur temps les incite à en passer davantage avec leurs amis et leur famille, à faire plus l’amour, à travailler moins et à accorder plus de temps à des activités associatives.

Deuxièmement, prendre du temps

Une fois focalisé vers le temps il faut encore le maîtriser. En effet de plus en plus de gens disent ressentir un stress temporel, notamment dans les catégories socioprofessionnelles élevées*. À comparer le ressenti des gens avec l’occupation effective de leur temps, il semble en fait s’agir d’une « illusion de pression temporelle »**, qui s’explique davantage par l’acceptation des multiples sollicitations modernes (la télé, le mobile, Internet, les réseaux sociaux…) que par des occupations contraintes. Cette illusion de pression temporelle atteint son paroxysme chez les couples sans enfants (qui ont mécaniquement moins de contraintes).

Or, il a été observé que ressentir du stress temporel diminuait la capacité à apprécier chaque instant ainsi que l’évaluation globale de sa vie***. À l’inverse, ressentir qu’on a du temps libre et qu’on peut en user à sa guise a un effet très positif sur le bonheur, et cela même lorsqu’est contrôlé le temps libre effectif dont l’individu dispose****. Comment réduire cette sensation désagréable de ne pas être maître de son temps ?

Des pistes existent pour réduire cette pression psychologique et effectivement dégager du temps pour soi (et pour les autres) :

  • S’offrir des périodes de ‘detox’ digitales et médiatiques, user de son droit à la déconnexion
  • Réduire ses temps de transport, user du télétravail ou modifier ses horaires pour éviter les heures de pointe
  • Fixer des créneaux horaires pour soi et s’y tenir
  • Participer à des initiatives intrapreneuriales ou de mécénat de compétence au sein de l’entreprise pour conjuguer temps professionnel et temps personnel

Puis le donner…

Et finalement un bon moyen de réduire la sensation désagréable de ne pas maîtriser son temps est d’en donner. Cassie Mogilner, Zoe Chance et Michael Norton, respectivement des universités Wharton, Yale et Harvard, ont testé dans une série de quatre expériences***** l’impact de différents usages du temps (le gaspiller, l’utiliser pour soi, l’utiliser pour quelqu’un d’autre, et en gagner en se faisant exempter d’une tâche) sur la sensation subjective d’abondance temporelle. Ils ont obtenu que l’utilisation de son temps pour aider quelqu’un d’autre était la circonstance qui était associée avec la sensation d’abondance temporelle la plus marquée.

Les chercheurs ont expliqué le mécanisme de la manière suivante : en offrant son temps bénévolement, on augmente sa sensation d’auto-efficacité, c’est-à-dire la sensation d’être capable d’organiser efficacement sa vie. Et une fois animé de cette confiance, on est davantage capable de répondre aux multiples engagements de la vie quotidienne, si bien que la contrainte temporelle telle qu’elle est perçue se relâche. Ainsi, de manière paradoxale, on peut se donner du temps en le donnant aux autres.

Toutes les générations sont concernées et des moyens sont mis en œuvre pour faciliter le bénévolat. Depuis la rentrée 2017, les étudiants peuvent valoriser leurs activités associatives au sein de leur parcours universitaire, celles-ci peuvent même les aider à acquérir leur diplôme. Les actifs peuvent croiser des démarches d’engagement lancées par leur employeur dans le cadre d’une politique de mécénat ou plus largement dans le cadre d’une démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises. Pour les seniors, de plus en plus de caisses de retraite prennent le relais et tentent d’accompagner les retraités et futurs retraités dans une « reconversion » dans le bénévolat ******.

Finalement les études académiques sur le lien bénévolat-bonheur aboutissent systématiquement à une relation positive. Les bénévoles sont en moyenne plus heureux et affichent même des indicateurs de santé physique meilleurs et des taux de mortalité plus faibles que le reste de la population.

Références :

*. Hamermesh D. et Lee J. (2007), « Stressed out on four continents: Time crunch or Yuppie Kvetch? » The Review of Economics and Statistics, 89(2), 374-383 ; Ng W., Diener E., Arora R. et Harter L. (2009), « Affluence, feelings of stress, and well-being », Social Indicators Research, 94, 257-271.

** Aguiar M. et Hurst E. (2007), « Measuring trends in leisure: The allocation of time over five decades », The Quarterly Journal of Economics, 122 (3), 969-1006.

*** Kasser T. et Sheldon K. (2009), « Time affluence as a path toward personal happiness and ethical business practice: Empirical evidence from four studies », Journal of Business Ethics, 84 (2), 243-255.

**** Eriksson L., Rice J. et Goodin R. (2007), « Temporal aspects of life satisfaction », Social Indicators Research, 80 (3), 511-533.

***** Mogilner C., Chance Z. et Norton M. (2012), « Giving time gives you time », Psychological Science, 23, 1233-1238.

******. plus d’information sur www.associations.gouv.fr/la-france-benevole-l-edition-2018-est-parue.html

(Retrouvez le contenu de cet article dans les leçons du livre : Heureux comme Crésus ? Leçons inattendues d’économie du bonheur, éditions Eyrolles)